L’Iran bombarde le Kurdistan irakien, où le soutien aux manifestations antirégime est fort

mis à jour le Jeudi 29 septembre 2022 à 16h49

Le Monde avec AFP

Les mouvements d’opposition kurdes iraniens en exil dénoncent la répression des manifestations provoquées par la mort de Mahsa Amini aux mains de la police des mœurs, il y a deux semaines. Au moins treize personnes ont été tuées, et plus d’une cinquantaine blessées.

La réponse intransigeante de Téhéran à la contestation populaire dépasse les frontières du pays. Au moins treize personnes ont été tuées, mercredi 2 septembre au Kurdistan irakien dans des frappes iraniennes contre des groupes armés de l’opposition kurde iranienne, qui dénonce la répression des manifestations en République islamique.

Le gouvernement fédéral irakien et le pouvoir régional du Kurdistan autonome, dans le nord du pays, ont condamné plusieurs frappes de missiles et d’autres menées selon Bagdad par « vingt drones chargés d’explosifs ». L’attaque a aussi été dénoncée par Paris, Washington, Berlin et Londres. Bagdad a dit avoir convoqué l’ambassadeur d’Iran pour protester contre les attaques, la diplomatie irakienne fustigeant des actions « provocatrices ».

Revendiqués par Téhéran, ces bombardements ont fait « treize morts – dont une femme enceinte – et 58 blessés, en majorité des civils, dont des enfants de moins de dix ans », ont annoncé en début de soirée les services antiterroristes du Kurdistan d’Irak. Ils ont évoqué « plus de 70 » bombardements, menés par des « missiles balistiques » et des « drones armés ».

Dans un hôpital d’Erbil, capitale de la région autonome, un photographe de l’Agence France-Presse (AFP) a vu des hommes, en majorité en treillis, transportés sur des civières, sortis d’ambulances tachées de sang, les corps bandés sur des chaises roulantes.

« Des réfugiés iraniens, dont des femmes et des enfants », feraient partie des victimes, a déploré, sur Twitter, l’antenne en Irak du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), évoquant un camp touché à Koysinjaq, à l’est d’Erbil. « L’attaque aurait touché une école primaire où se trouvaient des élèves », a déploré l’agence.

La télévision étatique kurde irakienne, K24, a annoncé que trois de ses journalistes avaient été « grièvement blessés ».

Le Kurdistan d’Irak accueille plusieurs groupes d’opposition iraniens kurdes qui, historiquement, ont mené une insurrection armée contre Téhéran, même si ces dernières années leurs activités militaires sont en recul. Ils restent toutefois très critiques sur les réseaux sociaux de la situation en Iran, en partageant par exemple des vidéos sur le mouvement de protestation qui a éclaté à la mi-septembre dans la République islamique après la mort de Mahsa Amini, 22 ans, alors qu’elle avait été interpellée par la police des mœurs.

« Dix frappes de drone »

Des tirs, revendiqués par l’Iran, ont aussi endommagé et détruit des bâtiments dans le secteur de Zrgoiz, à une quinzaine de kilomètres de Souleimaniyé, où se trouvent des locaux de plusieurs partis d’opposition armés iraniens kurdes de gauche, notamment ceux de Komala.

Un correspondant de l’AFP à Zrgoiz a vu des volutes de fumée blanche s’élever d’un des sites touchés par les frappes, où des ambulances ont été dépêchées. Des habitants fuyaient les lieux, tandis que des blessés légers se faisaient soigner sur place par un médecin du parti. « La zone où nous nous trouvons a été touchée par dix frappes de drone », a rapporté à l’AFP un responsable de Komala, Atta Nasser, montrant du doigt l’Iran.

La région de Sherawa, au sud d’Erbil, a également été visée par des bombardements. « Des locaux du Parti de la liberté du Kurdistan ont été visés par des bombardements iraniens », a indiqué à l’AFP un responsable de ce parti d’opposition iranien, Hussein Yazdan. Le Parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), un des groupes visés par les bombardements sur la région de Koysinjaq, a également fait état de deux morts dans ses rangs. Sur Twitter, le PDKI a fustigé des « attaques lâches ».

A Téhéran, la télévision d’Etat iranienne a affirmé que « les forces terrestres des gardiens de la révolution [l’armée idéologique de la République islamique] [avaient] ciblé plusieurs quartiers généraux de terroristes séparatistes dans le nord de l’Irak avec des missiles de précision et des drones destructeurs ». Ces derniers jours, des tirs d’artillerie iraniens avaient visé à plusieurs reprises des zones frontalières du Kurdistan d’Irak, au nord d’Erbil, sans faire de dommages notables.

Ces frappes surviennent dans un contexte tendu en Iran, où des manifestations nocturnes quotidiennes secouent le pays depuis la mort de Mahsa Amini. Le Kurdistan irakien accueille plusieurs groupes d’opposition iraniens kurdes, qui historiquement ont mené une insurrection armée contre Téhéran, même si ces dernières années leurs activités sont en recul. Ils restent toutefois très critiques sur les réseaux sociaux.

Par ailleurs, le commandement de la police en Iran, cité par l’agence de presse Fars, a averti, mercredi, que ses unités s’opposeraient « avec toute leur force » aux manifestants « et agiront partout dans le pays fermement contre ceux qui perturbent l’ordre public et la sécurité ». Selon l’organisation Iran Human Rights, sise à Oslo, au moins soixante-seize personnes avaient été tuées dans les manifestations à la date du 26 septembre.

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Les Etats-Unis ont « fortement » condamné mercredi les frappes meurtrières de l’Iran au Kurdistan irakien, et mis en garde Téhéran contre de nouvelles attaques envers les groupes de l’opposition iranienne kurde. « Nous nous tenons aux côtés du peuple et du gouvernement irakien face à ces attaques éhontées sur leur souveraineté », a déclaré le porte-parole du département d’Etat, Ned Price, dans un communiqué.

Le Royaume-Uni a condamné également les frappes meurtrières de l’Iran au Kurdistan irakien, sommant la République islamique de « cesser ses bombardements aveugles sur des villes kurdes ». « Ces attaques sont une violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Irak et sont tout à fait inacceptables », a déclaré le ministère des affaires étrangères dans un communiqué, accusant l’Iran de « déstabiliser » la région. Et Paris a condamné une « violation flagrante de la souveraineté irakienne » par Téhéran.