LE MEGA-PROCES DES ELUS KURDES AJOURNE AU 14 JUIN 2021

mis à jour le Mardi 25 mai 2021 à 13h18

Institut kurde Paris | 21/05/2021

La troisième audience du méga-procès des 108 élus Kurdes s’est tenue le 20 mai dans le complexe pénitentiaire de Sincan, près d’Ankara.

Au cours de cette audience, Madame Gultan Kisanak, ancienne maitre de Diyarbakir, est intervenue depuis la prison de haute sécurité de Kandira où elle est en détention provisoire depuis novembre 2016.  Elle a notamment déclaré : « Le but de ce procès est de nous faire disparaître de la vie politique démocratique et du Parlement … ».  « Je suis une Kurde, je suis une femme kurde. Ne cherchez pas de nouveaux adjectifs pour nous.  Ils m’appellent une « séparatiste », une « terroriste » quand ils trouvent cela nécessaire.  Une fois que les faits seront tirés au clair vous aurez honte.  Nous vous donnons une dernière chance pour vous sortir de cette situation honteuse », a-t-elle ajouté à l’adresse des juges de la cour.

« Aujourd’hui la justice est dans une grave crise.  La justice est devenue le jouet du gouvernement.  Nous savons de quel côté vous êtes.  Vous l’avez montré dès le premier jour.  L’Etat se sert de vous et vous pouvez compter sur le soutien de (vos) patrons.  Vous avez très bien montré que vous ne suivez pas une juridiction indépendante ni aucune loi. Pour cette raison, je demande la récusation de votre cour ».

« Si Kurdes, Alevis-Sunnis, Arméniens et femmes sont rassemblés au sein d’un même parti, ce parti (HDP) est un parti de Turquie ( …).  Le HDP est le porte-drapeau de l’égalité homme-femme.  Dans ce cas, vous dites  « hommes et femmes ne sont pas égaux ».  Ce procès est un procès contre l’égalité entre hommes et femmes.  Vous jugez un mouvement écologique (HDP).  En jetant le HDP hors de l’arène politique vous voulez que le fascisme soit libéré de tous les obstacles.  Ce procès est celui de ceux qui font barrière contre le fascisme. Il n’a rien à voir avec les incidents de Kobané ».

Mme Kisanak rappelle que les responsables des meurtres perpétrés les 6 – 8 octobre 2014 lors des manifestations contre le siège de la ville kurde syrienne de Kobané n’ont pas fait l’objet d’enquête judiciaire.  « Qui a tué ces gens et pourquoi, qui a donné des ordres à ces provocateurs ?  J’aurais aimé qu’au lieu de nous juger qu’il y ait une enquête judiciaire sur ces questions.  Nous sommes des politiques devant cette cour.  Nous sommes ceux qui cherchent des solutions aux problèmes du pays et nous n’hésitons pas à payer un prix quand c’est nécessaire.  Ce que vous appelez « preuves » ne sont que des articles de presse tendancieux ».

L’autre intervenant principal de cette audience a été Selahettin Demirtas, ancien co-président du HDP, ancien député et candidat à la présidence de la République, en détention provisoire depuis novembre 2016. Il a notamment déclaré que c'était le président turc Recep Tayyip Erdoğan qui était véritablement au siège du juge, tandis que l'accusation était laissée aux "sycophants des médias et de l'armée", des trolls ».

Demirtaş a cité Erdoğan, qui a déclaré que la justice turque «ferait ce qui est nécessaire» à la suite d'une décision rendue en décembre 2020 par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour la libération immédiate de Demirtaş.

«Les accusations portées contre mes amis sont le signe le plus flagrant d'un procès à motivation politique»

«Un jour, l'affaire Kobané commencera vraiment et les vrais coupables, les fonctionnaires de l'État et du gouvernement qui ont provoqué les rues, les gouverneurs et les chefs de police, ceux qui ont ordonné le massacre et ceux qui l'ont perpétré seront révélés. Mais soyez assurés que nous ne serons pas alors ceux qui seront sur les bancs des suspects."

Demirtaş a rappelé que la plupart des personnes qui avaient perdu la vie étaient des partisans du HDP et que la police avait été largement impliquée dans leur mort.

L'ancien dirigeant du HDP a poursuivi en accusant les juges d'avoir divulgué des informations confidentielles sur l'affaire au Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir et à son partenaire de coalition, le Parti du mouvement nationaliste (MHP).

Avant la décision de la CEDH du 22 décembre 2020, Erdoğan et le leader du MHP Devlet Bahçeli s'étaient prononcés en public contre Demirtaş pour influencer le tribunal, a déclaré le politicien.

"Quarante jours avant l'annonce de la décision de la CEDH, Erdoğan a déclaré qu'il n'interférerait pas avec le pouvoir judiciaire, mais qu'il ne défendrait pas les droits d'un terroriste comme moi", a déclaré Demirtaş. «Le juge membre de la CEDH de Turquie a-t-il informé le gouvernement turc du contenu de l’arrêt de la Grande Chambre?»

Le 7 janvier 2021, un vice-président du MHP a tweeté à propos du dossier de la procédure préliminaire du tribunal turc 18 minutes après sa mise en ligne sur le système en ligne, auquel seuls les juges, le procureur et les avocats de la défense auraient dû avoir accès, a poursuivi Demirtaş.

«C'est ainsi que la Turquie a entendu parler de l'affaire», a déclaré Demirtaş. «Avant ce tweet, l'agence Anadolu (gérée par l'État) n'avait pas publié de reportage, nos avocats ou notre parti n'avaient pas vérifié le système et n'avaient pas fait de déclaration.»

«Cela met en lumière les relations de votre cour avec le MHP. L'un de vous a fait cela, ou vos commis », a déclaré le politicien emprisonné.

«Il est difficile de discuter de la procédure, car nous ne sommes pas confrontés à un procès équitable», a conclu S. Demirtaş,

De son côté, Mme Figen Yüksekdağ, ancienne co-présidente de HDP, qui fait face aux mêmes accusations et a été arrêtée en même temps que Demirtaş a déclaré : «Les cas pour lesquels nous avons été jugés dans le passé ont été tordus et retournés pour prendre une forme anormale et sans même se soucier de produire des preuves, une nouvelle affaire a été diligentée sur les ordres du gouvernement. Il est impossible de prendre cet acte d’accusation au sérieux.»

L'acte d'accusation «manque tellement de sérieux» qu'un procureur «a confondu le nom de Yüksek, et a inclus dans le dossier un discours de M. Kamuran Yüksek comme si ce discours avait été le mien», a déclaré Mme Yüksekdağ.

« Je cherche une réponse sur les raisons pour lesquelles cette affaire a été déclenchée six ans après les faits», a-t-elle poursuivi. « Ni le gouvernement ni le procureur ne peuvent expliquer pourquoi l’enquête n’a pas été engagée il y a six ans.»

Le gouvernement et les tribunaux « n'ont rien fait pour la perte de ces vies, sauf pour pousser des cris », a poursuivi Mme Yüksekdağ. Notre parti a demandé à l’époque des enquêtes parlementaires et présenté des projets de loi pour enquêter sur les événements, qui ont été rejetés par les votes de l’AKP au pouvoir.

"Votre devoir dans cette affaire est de révéler qui est responsable de la mort de 37 personnes", a déclaré pour sa part Mme Sebahat Tuncel, ancienne députée du HDP emprisonnée, s’adressant au tribunal à la suite des déclarations de Mme Yüksekdağ.

"On nous demande pourquoi nous avons dit que ceux qui luttaient contre l'Etat islamique défendaient la dignité humaine", a déclaré Mme Tuncel sur un compte officiel du HDP, «Nous défendrons toujours cela. Les femmes ont été vendues sur les marchés aux esclaves (par Daech) et c'est ce que vous nous présentez. »

 Les journalistes n'ont pas été autorisés à entrer dans la salle d'audience, officiellement en raison d'un manque d'accréditation appropriée, tandis que la sécurité du palais de justice a tenté de récupérer les téléphones intelligents des agents admis.

Le procès a été reporté au 14 juin 2021.