La voix des Arméniens de Turquie assassinée


20 janvier 2007
Par Ragip DURAN (Istanbul de notre correspondant)


Les milieux nationalistes soupçonnés d'avoir tué le journaliste turc Hrant Dink.

Le cadavre est resté au sol couvert d'une bâche blanche pendant plus d'une heure. «L'Etat assassin va rendre des comptes» et «Vive l'amitié entre les peuples», scandait une petite foule d'amis et de collègues. Cible des ultranationalistes pour ses propos sur le génocide arménien et plusieurs fois poursuivi par la justice (lire ci-contre), Hrant Dink, 52 ans, directeur de publication d' Agos, a été tué vendredi de trois balles devant le journal, principal hebdomadaire arménien de Turquie.

«Un jeune homme de 18-19 ans vêtu d'un pull rouge et d'un chapeau blanc a tiré», a déclaré un témoin. Selon le gouverneur d'Istanbul, la police détenait trois suspects vendredi soir.

Hrant Dink
Hrant Dink, 52 ans, directeur de publication d' Agos - REUTERS
L'assassinat de ce journaliste symbole du combat pour les droits des minorités, notamment des Arméniens (60 000 personnes), a mis le pays sous le choc, alors que les tensions s'accumulent avec Bruxelles un peu plus d'un an après l'ouverture des négociations d'adhésion. «Ces balles ont été tirées contre l'unité nationale, la liberté d'expression et la vie démocratique», a martelé le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, issu du mouvement islamiste, évoquant des «forces obscures nationales ou internationales». Vendredi en fin de journée, l'assassinat n'avait toujours pas été revendiqué. Mais beaucoup mettent déjà en cause les milieux nationalistes, voire certains secteurs de l'«Etat profond», c'est-à-dire des services secrets.

«Publiquement vilipendé comme ennemi de la turcité et de la Turquie, il craignait d'être tué», a affirmé son avocate Fethiye Cetin, alors qu'un universitaire libéral comme Cengiz Aktar rappelle que le «crime représente aussi un avertissement à l'ensemble des intellectuels et démocrates du pays». A Bruxelles aussi le choc est immense, et le commissaire européen à l'Elargissement, Olli Rehn, s'est dit «choqué et attristé». Une marche devait être organisée dans la soirée depuis la grande place de Taksim jusqu'au journal Agos où, depuis des heures, des gens venaient déposer des fleurs.

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